Avec Gilles BUI-XUAN, Professeur des Universtités, émérite. Membre du groupe Plaisir & EPS de l'AE-EPS.
Dans notre série des "8 Pistes pour favoriser l'engagement et le plaisir des élèves dans leur pratique, voici la Piste N°4.
Tout d’abord il faut comprendre ce qu’est une préoccupation : c’est « une disposition d’esprit de quelqu’un qui est tellement occupé à quelque chose qu’il ne peut prêter attention à rien d’autre ». On peut alors saisir,que ce qui pousse un élève en situation réelle à agir comme il le fait, c’est tout simplement parce qu’il ne peut pas faire autrement.
Il est donc nécessaire de partir de ce que font réellement les élèves et non de ce que l’on voudrait qu’ils fassent. Car ce qu’ils font révèle ce qu’ils sont exactement, ici et maintenant, c’est-à-dire leur niveau de compétence dans l’activité en question.
Idéalement, il faudrait, d’abord, prendre en compte le rapport qu’entretient un élève à telle activité, qui dénoterait des qualités plutôt structurale (en force), technique (en beauté) ou fonctionnelle (en tactique), en rapport avec les modalités de victoire de cette activité, en mesure, en conformité, ou au score
Mais le plus important est de respecter la préoccupation dominantede l’élève dans l’activité elle-même selon l’étape adaptative dans laquelle il se situe et qui dénote une préoccupation :
- préoccupation émotionnelle, marquée par l’expression des capacités physiques disponibles.
- préoccupation fonctionnelle, centrée sur la compréhension et la recherche de principes de fonctionnement ou d’efficacité,
- préoccupation technique,dominée par l’utilisation prioritaire de savoir-faire appris,
- préoccupation contextuelle, dans la mise en relation des savoir-faire et du contexte.
L’attrait pour une activité, et le repérage de l’étape dans laquelle se situe l’élève dans cette activité, devraient permettre de faire rentrer l’élève dans l’activité en question, de façon harmonieuse, de lui faire vivre immédiatement des expériences de réussite et surtout qu’il y prenne plaisir.
Ainsi, y aura-t-il peu à peu maturation du sens qu’il accorde à son action, de son rapport à cette activité, et nécessairement progrès. Etre attentif au progrès devient alors une préoccupation permanente de l’enseignant, car le progrès peut être très rapide, nécessitant alors une adaptation pédagogique concomitante.
Ce progrès peut se manifester immédiatement dans l’étape elle-même, ou dans le passage d’une étape à une autre, en fonction de ses expériences antérieures.
La natation est idéale pour illustrer ce propos. A l’étape émotionnelle, on comprend aisément que l’émotion prime sur la raison et relègue au second plan toute démarche de compréhension des principes de flottaison, de respiration ou encore de propulsion. L’élève ne peut agir qu’avec sa motricité de terrien. Ce n’est que lorsqu’il aura pris confiance en lui dans un milieu sécurisé qu’il entrera de plain-pied dans l’étape fonctionnelle et cherchera à explorer toutes les propriétés du milieu aquatique : s’horizontaliser, faire la torpille, se propulser, etc. Ainsi, progressivement, une motricité aquatique apparaît et peut s’enrichir à l’étape technique par l’apprentissage de mouvements précis.
Ainsi, l’évaluation ne peut-elle être que permanente et en tous cas, elle nécessite des indicateurs d’étapes, un référentiel pour guider les propositions pédagogiques.
Aborder l’activité en prenant en compte les préoccupations des élèves, c’est mettre en phase le sens qu’ils donnent à cette activité, le sens qu’ils donnent à leur propre action, etles propositions de l’enseignant.
Evidemment ce sens est singulier et propre à chaque élève. C’est pourquoi l’entrée dans l’activité ne saurait être identique pour tous. Une pédagogie différenciée s’impose alors. Elle demande une réflexion sur les méthodes et les moyens car en fonction de l’étape repérée, toutes les méthodes ne se valent pas, mais surtout, si elles sont inadaptées, elles risquent de braquer l’élève et de le conduire à abandonner.
Par exemple, demander d’aller chercher des objets au fond de la piscine à un élève dont la préoccupation est de ne pas couler est un véritable non-sens pédagogique.
Aborder l’activité dans le respect des préoccupations des élèves, c’est les conduire à ce qu’ils fassent la démonstration de leur puissance de faire et d’exister.
Alors que ne pas en tenir compte, c’est les mettre sous dépendance et ainsi les conduire vers l’impuissance apprise.
Le passage d’une pédagogie « verticale », où la référence obligée est l’enseignant qui dicte ce qu’il y a à faire de façon identique pour tous les élèves, à une pédagogie « horizontale », où les préoccupations de chaque élève deviennent les références différenciées pour conduire non seulement l’action du maître mais aussi les propositions des élèves, pourrait bien être la clé de voûte d’une pédagogie de la mobilisation et par là du plaisir de pratiquer.
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