Par Lucie MOUGENOT (formatrice en EPS à l'ESPE d'Amiens) et membre du "Groupe Plaisir" de l'AE-EPS.
Il s’agit ici, pour l’enseignant, à partir de ses observations de ses élèves en activité, de repérer leurs réussites pour construire son enseignement, et ce, dès la première séance. Le rapport à la réussite et à l’échec est sur ce point fondamental, pour ne pas aller trop vite dans la progressivité des contenus.
Adapter les contenus au niveau d’adaptation de l’élève implique de proposer des situations de difficulté optimale pour exploiter au mieux le sens que l’élève donne à son action.
Mais quelle situation proposer en première séance ? Cette situation doit-elle permettre de confronter tout de suite l’élève au niveau de compétence attendu en fin de cycle, au risque de le placer en échec ?
À quel moment complexifier les situations ?
Comment aider les plus fébriles à se mobiliser, à prendre du plaisir à agir, comment les inciter à persévérer pour qu’ils progressent ?
Ces questions sont essentielles car elles mettent en relation le plaisir ressenti avec la réussite et l’apprentissage.
Aussi, le choix des contenus est déterminant à deux niveaux :
1. D’abord, lorsqu’on aborde une nouvelle activité, les contenus d’enseignement sont trop souvent définis en fonction des compétences à atteindre plutôt qu’en fonction de ce que font les élèves. Par conséquent, dès la première séance, certains sont en échec.
L’évaluation diagnostique, conduite dans le but légitime de faire progresser les élèves, mesure un écart et met plutôt en évidence un manque à combler.
Or ce diagnostic doit permettre de faire état des acquis, et non des lacunes.
Le groupe PLAISIR propose lors de cette première séance, de mettre plutôt en avant les réussites des élèves et de pas complexifier trop vite les situations, au risque de les démobiliser et de ne pouvoir optimiser la mobilisation de leurs ressources. Stabilisons d’abord les apprentissages avant de franchir d’autres étapes.
Prenons un exemple avec une classe de CE1 lors d’une séquence de jeu traditionnel. L’enseignant choisit de les faire jouer à la balle aux prisonniers, jeu très souvent proposé en cycle 2.
Si les élèves sont tout de suite confrontés au jeu dans sa globalité, avec les prisons aux extrémités des terrains où l’on se réfugie quand on est touché par la balle, il y a de fortes chances pour qu’il n’y ait pas de jeu, ou du moins que certains ne touchent pas un ballon durant cette séance et adoptent des stratégies d’évitement.
Les règles sont trop complexes pour être amenées en une séance (les prisonniers bien souvent ne sortiront plus de leur prison, faute de recevoir la balle), et le fait de devoir toucher les autres et d’éviter d’être touché « de plein fouet » amène une centration de bon nombre d’élèves sur l’évitement de la balle.
Par conséquent, on observe beaucoup de balles perdues – car tout le monde se sauve même après les rebonds –, aucune passe n’est faite aux prisonniers car c’est secondaire, on préfère « sauver sa peau », et les tirs sont peu efficaces car très éloignés de la cible.
Difficile dans ce cadre d’exprimer les réussites : cette entrée n’est pas progressive et place un nombre important d’élèves en échec ce qui amène à une démobilisation.
La réussite ne peut pas être différée,
c’est à dire qu’il n’est pas envisageable de se dire que dans quelques semaines ils y arriveront !
Que vont-ils retenir de cette séance ? Quel plaisir auront ils ressenti pendant le jeu ?
Et pensez-vous qu’ils vont continuer à s’investir dans le jeu au risque de se froisser aussi avec leurs partenaires ?
Pour la balle aux prisonniers, il s’agirait de proposer en début de cycle des contenus liés à un jeu simplifié à effectif réduit, sans les prisons ni élimination, dans lequel on comptabiliserait simplement les points correspondant au nombre de joueurs adverses touchés.
Et quand les élèves en question auront moins peur de se faire toucher, récupèreront les balles après un rebond ou de volée et auront compris que pour être efficace on doit s’approcher de la cible (ce qui représente une prise de risque importante), alors on pourra mettre en place les prisons qui, au plan informationnel et stratégique, réclameront de nouveaux contenus et apporteront une nouvelle dimension au jeu.
L’observation de la mobilisation de l’élève est essentielle pour optimiser déjà ce qu’ils savent faire et leur permettre de répéter suffisamment pour qu’une manière d’agir plus pertinente apparaisse.
2. Ensuite, lorsque les élèves commencent à réussir, il s’agit surtout ne pas envisager trop vite ou trop tôt de nouveaux apprentissages. Plutôt que de « brûler les étapes » au motif de viser l’expertise dans l’activité, nous souhaitons former des élèves « experts »à chaque étape de leur apprentissage.
Les contenus adaptés permettent l’optimisation des ressources de chacun et favorisent à terme l’émergence de nouvelles stratégies ou techniques corporelles. Quand les élèves sont en situation de réussite, le plaisir de continuer à réussir, de répéter doit être entretenu.
La complexification ou l’augmentation de la difficulté ne peut être systématique ni proposée trop tôt, au risque, une nouvelle fois, de recréer de l’échec ou de ne pas donner assez de temps aux élèves pour s’approprier les contenus et stabiliser leurs apprentissages.
Le plaisir doit être recherché pour que la mobilisation se poursuive jusqu’à ce que la répétition de la réussite permette à l’élève de changer de préoccupation à un moment donné.
Par exemple, au tennis de table, lorsqu’un élève commence à repérer des balles faciles et qu’il réussit à conclure directement le point au retour en jouant une balle placée ou accélérée, nous lui proposerons des contenus pour optimiser sa compétence.
Comment bien placer sa balle, comment orienter son geste et son corps pour être efficace, comment distinguer parmi les balles qui arrivent celles qui sont favorables ou difficiles à jouer, etc.
Au contraire, il ne serait pas judicieux de chercher à lui faire acquérir trop rapidement des contenus pour savoir jouer plusieurs fois des balles placées ou jouer des balles placées sur les retours difficiles. Il faut savoir attendre l’émergence de ces nouvelles stratégies.
Cette piste souligne l’importance de stabiliser et d’optimiser les réussites en cours, c’est-à-dire de cibler un nombre restreint de contenus, de renforcer les points forts de l’élève et d’optimiser les ressources de chacun pour espérer faire émerger une nouvelle adaptation à l’activité.
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